CARNET DE RESIDENCE 2#
Lorsqu’un réfugié/migrant réussit à traverser la frontière vers l’Angleterre, cela ne veut pas dire qu’il réussit à résoudre sa situation de précarité. Au fait il se trouve endetté à cause du prix élevé du voyage, qui s’étend entre 8000 et 30.000 Euros. Ceci représente à peu près le prix payé pour traverser illégalement les multiples frontières en allant de son pays d'origine jusqu’à arriver en Angleterre. Et cela sans oublier, l’épuisement physique, le stress et les troubles psychiques qu’il a du subir en cours de chemin. De plus ces personnes là ont souvent à leur charge une famille, des enfants ou des parents, restés dans le pays d’origine, incapables de faire le trajet: il devra subvenir à leurs besoins et leur envoyer de l’argent pour survivre.
Une fois arrivés en Angleterre ces personnes se lancent directement dans un processus complexe de bureaucratie et d’intégration à une nouvelle société. Dès leur arrivée, ces personnes là doivent se présenter à la première station de police, pour expliquer avec cohérence et clarté lors d’un interrogatoire comme ont-ils réussi à traverser la frontière.
S’ils répondent aux attentes et critères demandés, ils seront emmenés dans un centre de rétention. Ils passeront entre 3 à 7 semaines détenus. Une fois l'origine, l’histoire et le statut du réfugié/migrant éclaircis, la personne pourra passer à la deuxième phase, où il sera logé dans une chambre d’hôtel pour une durée qui s’étend en général entre 4 et 8 semaines. Pendant ce temps l’organisme travaillera à résoudre la question du domicile, ou la personne devra habiter pendant les mois qui suivent (entre 7 à 12 mois). La personne sera allouée une chambre dans une maison destinée à héberger des migrants/réfugiés de différentes nationalités et origines. Ils devront obligatoirement résider dans ce dit domicile. Une fois que la personne aura passé cette période, elle sera interrogée de nouveau. Et ce n’est qu’après cet interrogatoire que la personne saura si en effet sa demande d’asile est acceptée ou refusée. Si la réponse est positive la personne recevra un titre de séjour pour une durée de 5 ans. Et si la réponse est négative, la personne sera déportée immédiatement vers le pays le plus proche (ou même des fois son pays d’origine), ou sinon le premier pays européen où il aura déposé ses empreintes (de force ou pas).
Au total ce processus peut durer plus d’un an. Et pendant tout ce temps les personnes devront attendre, sans avoir le droit de travailler et de gagner sa vie, ou de développer une vie normale ou de se créer son nouvel environnement social.
La description de ce processus pourrait ressembler au processus de vérification d’un stock de marchandise "non désirée" ou "non prioritaire". De nombreuses études sur l’économie du marché et statistiques démontrent que ces hommes et femmes qui essaient de maintenir à tout prix leur dignité, une fois acceptés dans la chaîne de travail, seront en effet productifs et lucratifs pour l'économie de l’état et la société qui les "accueille".
En général ils occupent des postes de travail mal rémunérés, et des postes de travail non-voulus par les citoyens "à droits" de ces pays. Alors pourquoi les faire attendre autant de temps?
Il y a des équations qui peuvent être déclencheurs d'un exode forcé. L’équation: homme = marchandise = profit n'est pas nouvelle, elle est devenue tout à fait habituelle et s’inscrit dans la loi du marché et le système économique.
Ceci dit, une équation pareille se trouve à l’opposé de l'image que les pays occidentaux portraient et défendent de leurs sociétés "justes et démocratiques".
D’autre part, nous pouvons aussi dire qu’il y aurait aussi une autre équation qui se cache derrière ce mouvement migratoire, l’équation: guerre = business = exode = business ou déstabilisation politico-économique = business = exode = business.
Ceci dit, il ne s’agit pas de faire une étude ou de démontrer au premier plan ces équations, mais si elles sont mentionnées, c’est qu’elles sont innées au sujet. Ces équations abordent des questions importantes, que nous chercherons ensemble à formuler.
Mon défi sera de réussir à traduire ces concepts à travers une narration, un travail visuel, plastique et poétique, qui garde une conscience et position éthique et politique sur le sujet du conflit et des migrations.
Je voudrais donner voix à ces personnes, tout en gravant dans la mémoire, le drame auquel ces personnes-là sont exposées et se trouvent « obligés » de vivre.
A travers ce projet je voudrais sensibiliser l'audience à ce sujet, et rendre plus accessible la vie de ces gens là, et cela en abordant différentes questions : comment représenter le récit de ce long voyage et exode? Comment raconter les raisons de ces déplacements? Comment représenter ce temps d’attente et de « stockage » ? Quel est le processus d’adaptation et d’intégration que suivent ces personnes pour s’intégrer à une nouvelle société ?
D’autre part il serait intéressant pour ce projet de faire une recherche poussée sur les processus de contrôle frontalier : les nouvelles technologies et les mécanismes de détection utilisés de nos jours, l'informatisation algorithmique, la quantification de données pour contrôler les passagers ... Et voir comment dans le contexte de la crise migratoire elles peuvent être utilisées non seulement pour contrôler les marchandises illégales, mais aussi les personnes et le flux migratoire. Pour cela, il s’agira en résumé de comprendre le processus et la méthodologie de contrôle qui gère le système panoptique « actuel » afin de localiser l'individu « anormal » ou qui sort des normes, pour ensuite déterminer sa situation/condition, et le ficher comme "potentiellement dangereux" ou autre.
J’aimerais ainsi à travers cette recherche et investigation pourvoir me familiariser avec les mécanismes et outils de contrôle, dans le but de m’approprier et d’utiliser leur système de fonctionnement mais aussi leur esthétique, et ceci par exemple en utilisant des outils comme les caméras de surveillance, les scans X-ray ou autre, comme point de vue ou outil de captation dans certaines séquences fictives.
Image d´artiste anonyme photographie a Porto